Chansons
Errances
Je m’étais inventé la mer
Sur des rivages tourmentés:
Navigateur en solitaire.
Voiles d’orgueil qui fendaient l’air,
Par vent d’amour, je dérivais.
Je voyais le ciel à l’envers.
Nuées d’illusions
Pour tout horizon.
Je m’étais inventé la terre
Sur les champs que je défrichais,
En laboureur tranquille et fier.
Semis d’espoir dans la lumière,
Bon an, mal an, je récoltais
De quoi oublier mes hivers.
Amères moissons
A chaque saison.
Je me prenais pour Dieu le Père
Jetant sur quatre dimensions
Ce qui, de toutes les manières,
N’existait que dans mes chansons.
Je m’étais inventé la bière
Sur le vieux zinc de mes regrets.
Buveur joyeux, gai caractère.
Bulles d’ennui au fond des verres,
Jour après jour je déclinais:
Deniers de mousse, rêves éphémères.
Soleils d’occasion
Au fil des boissons.
Je m’étais inventé une aire
Sur des falaises escarpées :
Aigle vainqueur aux grandes serres.
Vols d’amertume dans l’éther,
Dans la vallée je descendais
Boire aux fontaines de mes frères.
Ailes d’évasion
Sans destination.
Je m’embarquais sur des galères
Dressant les murs de ma prison.
Le cœur et l’âme en bandoulière,
Je vivais d’imagination.
Aujourd’hui, brisant les barrières,
Je suis venu me réchauffer
A cette ambiance familière.
Il ne faut pas jeter la pierre,
Il ne faut pas me calomnier :
Le temps efface les colères.
L’amour est raison.
L’amour a raison :
J’ai gagné ma guerre.
Nina Padilha © Rue Eugène Manuel - 30/3/78
Questions
Au bout de la route,
Derrière les cyprès,
S’esquisse le doute :
Il y a-t-il un après ?
Mon âme en déroute
Marque un temps d’arrêt,
Se met à l’écoute :
Il y a-t-il un après ?
Quand la vie dissoute
N’est plus qu’un regret,
L’issue de la joute
A-t-elle un attrait ?
Au bout de la route
Il y a le secret.
Est-ce que je redoute
D’approcher si près ?
L’ombre sous la voûte,
Ce silence vrai,
Et la foi absoute
Comme un fait exprès...
La mort nous envoûte
Auprès des cyprès.
J’apprécie, somme toute,
Si précis, ce trait.
Au bout de la route,
Après les cyprès,
Ce qui me dégoûte :
La vie n’est qu’un prêt.
Nina Padilha © 22/2/94
Éthylisme
Entre le gin et l’insomnie,
A la limite de l’ennui,
Les fleurs du mal se décomposent
Face à face avec la névrose.
Et la mémoire ne répond plus.
Les souvenirs sont révolus.
Cafard noyé dans le whisky,
La bonne humeur prend le maquis.
Il y a le cœur qui s’hématome
Entre les spectres et les fantômes.
Et nul ne connaît l’antidote :
C’est coupe à cœur et rebelote.
Entre le spleen et le cognac
La main tendue est une arnaque.
C’est le conscient qui kamikaze.
Les mots ne forment plus de phrases.
La raison sabre le karma.
La nuit ressemble à un coma.
Entre la vie et l’eau de vie,
Dans les désirs inassouvis,
Quand la jouissance se lézarde,
Le cœur se brise, par mégarde.
C’est gardénal en overdose
A l’heure où boit l’éléphant rose.
Nina Padilha © à F.M. 13/1/93
Confidences pour un auto-portrait
Je suis un drôle de personnage.
On m’en fait souvent le reproche.
Je n’ai jamais le même visage,
Je n’ai jamais la même approche.
Tous les poissons, en général,
Ont un verso à leur médaille.
Mais je suis sans doute anormale :
J’ai mille facettes et rien qui m’aille.
Je suis toute en rires et en larmes.
Parfois cruelle et parfois tendre.
On dit que j’ai beaucoup de charme
Mais, si difficile à comprendre !
Je suis un être délicat
Pourvu d’un certain caractère.
On dit bien que je suis un cas :
Toute en jeux d’ombres et de lumière.
Je suis d’une humeur incertaine.
J’aime jouer de l’ironie.
Il m’arrive de faire de la peine
A mes plus intimes amis.
J’ai mes chagrins du côté cœur
Et mes amours côté jardin.
J’ai des passions pour l’équateur.
Mais ça, vous le savez très bien.
Je suis quelqu’un de nostalgique :
Un peu regrets, un peu sanglots.
Je chante et j’aime la musique.
Je pose aussi mes ronds dans l’eau...
Pour vous parler de mes blessures,
Je vous dirai, comme un secret,
J’ai des poèmes en vide-ordures
Pourrissant dans un vieux cahier.
Cahier rance.
Je pourrai bien écrire un livre
Sur mon ego et mes errances.
Mais il faudrait que je sois ivre
Pour que ma plume glisse et danse.
Danse, danse.
Comme le fait mon tambourin
Dans les aurores où il m’entraîne
Quand il balance entre mes mains
Pour une samba brésilienne.
Danse, danse.
Souillant la pâleur du papier
En exorcisant ma mémoire
De rêves fous et périmés
Qui rôderaient dans mon histoire.
Danse, danse.
Comme le fait le clair soleil
Dans les matins vêtus de brume
A la rencontre de l’éveil.
Danse, danse, ma plume !
Nina Padilha © Paris, 4/1/80
Mis en musique par Steve Hakoun
Mon lit est un bateau
Mon lit est un bateau qui largue les amarres
Pour de lointains ailleurs au creux des oreillers.
Si à bord de mes rêves le temps n'est pas de quart,
C'est mon imaginaire qui me fait louvoyer.
Mon lit est un bateau dérivant vers la vie
Où je joue de la plume au large du matin.
Si les courants sont doux, j'encre ma poésie,
En donnant de la voile à mes alexandrins.
Mon lit est un bateau accostant ma mémoire :
J'y retrouve le Nord entre les draps tirés.
Si au bout de la nuit, je bats pavillon noir,
A la fin du voyage mes cales sont vidées.
Mon lit est un bateau qui file vent arrière,
De vagues de Tergal en vagues solitudes,
Echouant à l'aurore dans une baie de lumière :
Radeau de mes faiblesses, épave d'habitudes...
Nina Padilha © Rue Lucien Sampaix - 02/01/79
Ce texte a été mis en musique.